Dans l'air éclairci
Quand déjà la consolation de la rosée
Descend sur la terre
Sans qu'on la voie, sans qu'on l'entende
Car la rosée consolation porte
De fines chaussures, comme tous ceux dont la douleur console,
Te rappelles- tu, te rappelles- tu, coeur ardent,
Comme tu avais soif jadis?
Soif de larmes célestes et de gouttes de rosée,
Brûlé de soif et fatigué,
Tandis que sur les chemins d'herbe jaune,
Le soleil jetait méchamment
Les rayons de son couchant
Faisait luire autour de toi au travers des arbres noirs
Ses rayons ardents, aveuglants, heureux de te nuire.
"Le prétendant de la vérité? Toi? - ainsi raillaient-ils.
Non ! Poète seulement !
Une bête fauve fauve, rusée, rampante,
Qui doit mentir,
Qui doit mentir sciemment, volontairement :
Guettant avidemment sa proie :
Masquée de mille couleurs
Masque pour elle-même,
Cela - le prétendant de la vérité?
Non ! Rien qu'un fou ! Rien qu'un poète !
Parlant de tout à la fois,
Criant confusément sous un masque de fou,
Tournant en rond sur des ponts de paroles mensongères,
Sur des arcs en ciel bariolés,
Entre de faux ciels
Et de fausses terres,
Errant, flottant de tous côtés -
Rien qu'un fou ! Un poète !
Celà - le prétendant de la verité?
Ni muet, ni rigide, ni lisse, ni froid,
Ni changé en statue,
Ni dressé en colonne de Dieu,
Ni placé devant les temples,
Pour garder le seuil de Dieu ;
Non ! ennemi de tous ces monuments de la vérité..... "


....."Dans l'air éclairci
Quand le croissant de lune
Glisse déjà, envieux, ses rayons verts
Entre les pourpres du couchant,
- hostile au jour,
Passant secrétement sa faucille à chaque pas
Sur des hamacs jonchés de roses,
Jusqu'à ce qu'ils tombent,
descendent dans la nuit, s'enfoncent blafards dans la nuit :-

Ainsi je suis tombé un jour moi-même
Hors de ma folie de vérité,
Hors de mes désirs du jour,
Las du jour, malade de lumière,
- tombé vers le fond, vers le soir, vers l'ombre :
Brûlé et altéré
D'une seule vérité :
Te rappelles-tu, te rappelles-tu, coeur ardent,
Comme alors tu avais soif?
Que je sois banni
De toute verité !
Rien que fou ! Rien que poète !

Frédérich Nietzsche